Pourquoi une nécessité ? J’entend déjà la voix du Français indigné me dire : « Mais et Charlemaaaagneuuu ??? »
Et bien, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, avons nous besoin de le rappeler: l’Afrique est le berceau de l’humanité. Toumaï il y a environs 7 millions d’années BP, puis homo habilis il y 2.5 millions d’années BP et enfin, homo sapiens, il y a un peu plus de 200 000 ans. N’en déplaise à nos chers créationnistes, frontistes et autres accrocs aux « idéologies naphtalines », nous sommes tous Africains.
Et puis, de manière tout à fait pragmatique, un quart de l’humanité sera africaine en 2050: il serait grand temps d’apprendre à la connaître, autrement qu’en l’exploitant ou l’escroquant.
Pourquoi une nécessité? Pourquoi ce caractère urgent? Et bien laissez moi vous « conter » une expérience avec une de mes classes de 6eme de l’année dernière.
Voici une vue aérienne du quartier des affaires de la ville de Lagos, capitale économique du Nigéria. Cette photographie a été étudiée lors du chapitre « Habiter dans une métropole ».
Elle a servi de « mise en bouche »: en ne possédant aucune information, les élèves devaient répondre à la question que je leur posais, à savoir : « A votre avis, où a été prise cette photographie ? « . Toutes les réponses, sans exception, proposent des pays développés. En aucun cas les élèves ne conçoivent la présence de tours, autoroutes et infrastructures conséquentes dans une ville des « Suds »(1).
Puis, je leur donne un indice: « Non, nous ne sommes pas dans un pays développé ».
Ah. Et là, on sent un début de questionnement: mais qui peut donc bien avoir un mode de vie qui nous ressemble? Les noms d’Etats fusent, toujours les mêmes : l’Inde, la Chine, des Etats d’Amérique Latine, l’Afrique du Sud, l’Egypte, le Qatar. A aucun moment l’Afrique subsaharienne n’est envisagée.
Ceci n’est pas du à un manque de culture ou de curiosité de nos élèves (2) mais bien aux modes de représentations de l’occident au sujet de l’Afrique. De ce continent l’élève ne connaît que la vision « safari » ou bien l’extrême pauvreté.
Plus grave encore, cette vision persiste au delà de la 6eme, et des expressions utilisées par les médias telles que « le G8 au chevet de l’Afrique » contribuent à présenter le continent comme l’enfant malade et malingre de la planète. C’est à dire, comme un continent qui n’est pas autonome (un enfant donc) et qui plus est, en mauvaise santé.
Ces mêmes médias passent parfois de « l’autre côté »: que penser d’une émission comme « Bienvenue dans ma tribu »… De l’Afrique malade nous passons au mythe du bon sauvage. Tristesse et désespérance. A quand un regard neuf et surtout un regard objectif ?
A la faveur des nouveaux programmes de géographie du Collège, l’Afrique est enfin étudiée en classe de 4eme avec un angle résolument novateur et objectif. Nous sortons de cette « Afrique Daktari » pour nous approcher de la réalité tangible, contemporaine, de ce continent.
Mais… car il y a un mais, où est donc passée l’histoire? Où est donc passé ce chapitre, déjà fort maigre, sur l’histoire de l’Afrique au moyen âge? A quel point n’est-il pas dérangeant de n’étudier l’Afrique que dans un contexte de domination: traite transsaharienne, traite des Noirs, colonisation, ouf, décolonisation…puis, pauvreté, exclusion de la mondialisation et difficultés d’intégration. Si les programmes ont progressé en géographie, n’ayons pas peur des mots, ils ont régressé en histoire. C’est comme si nous concédions une réalité actuelle à l’Afrique mais sans évoquer son héritage.
Et pourtant: musique, littérature, arts plastiques et visuels, médecine, géographie, mathématiques. Il est urgent d’étudier l’Afrique, de sortir des idées reçues (3), des clichés ancestraux et persistants.
Nous sommes tous Africains.
A. M.
- Je reviendrai bientôt sur cette expression des « Nords » et des « Suds » qui est une aberration aussi bien géographique que sémantique…
- Bon d’accord, nous pourrions discuter sur ce point…mais n’oublions jamais que c’est notre tâche de les rendre curieux.
- Sur ces idées reçues à propos de l’Afrique, je vous recommande l’ouvrage de Georges Courade, L’Afrique des idées reçues, publié en 2006, qui est tout à fait instructif ! (youpi…)
- Ces idées développées ici ont fait l’objet d’un mémoire, que j’ai rédigé l’an passé La gestion des ressources marines dans le golfe de Guinée dans une perspective de développement durable ou comment éviter les écueils au sujet de l’Afrique, au Collège.
21 novembre 2016 at 7 h 58 min
Coucou!
Super article et je partage entièrement ton point de vue! C’est toujours bien de le rappeler parce que même nous les adultes, (les profs!) avons tendance à propager ces clichés!
Merci aussi pour la référence de lecture! Je jetterai un œil dans le livre de Courade pour préparer mon cours de 4ème. Est-ce qu’on peut aussi lire ton mémoire quelque part?
Bises!
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26 novembre 2016 at 20 h 06 min
Oui, j’admets que je fais aussi partie des gens qui auraient réagi ç la photo sur ce genre de cliché, par bêtise probablement.
Qu’est-ce qu’une « année BP » ?
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27 novembre 2016 at 8 h 57 min
Voilà ! j’ai retrouvé ton commentaire… Alors BP c’est « before present », en français avant le présent, mais en fin de compte on utilise surtout la version anglaise. C’est le système de datation utilisé pour la préhistoire, mais aussi la géologie et autres sciences voisines. En fait, on compte mais à partir de 1950: au lieu de faire av JC, c’est av. 1950. Cela s’explique, en gros, parce que la datation au carbone 14 a été inventée en 1950 et que tu as eu pas mal de modifications dans les taux de radioactivités dues aux essais nucléaires, qui font qu’à partir de 1950, les mesures se bousculent un peu.
J’espère que je suis claire..
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24 avril 2017 at 18 h 50 min
Cette photo de Lagos montre que le Nigéria, qui connaît la démocratie depuis 1999, re-dynamise fortement son économie car le pays se pacifie. En outre, l’avenir de l’Afrique passe aussi par la sensibilisation des populations à respecter les écosystèmes et à rétablir le végétal. Lutter contre la sécheresse est un enjeu majeur de l’Histoire du continent.
Wangari Maathai, Kenyane, biologiste, professeur d’anatomie en médecine vétérinaire, créatrice du Mouvement pour la ceinture verte, avait expliqué concrètement le lien entre environnement et pauvreté. Elle avait sauvé de la destruction des îlots de forêts en mettant en échec un projet de gratte-ciel que le régime de l’ancien président Daniel arap Moi, avait voulu construire près de Nairobi.
Première femme africaine à se voir décerner un prix Nobel de la paix, elle est décédée le 25 septembre 2011 mais est un véritable symbole d’espoir car son association permet aujourd’hui de replanter des centaines de milliers d’arbres en Afrique centrale, en Afrique de l’ouest et en Afrique de l’est.
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